Le soutien psychosocial, un préalable en cas des catastrophes naturelles.

Depuis le début de la saison de pluie cette année 2021, certaines zones se trouvant sur les rives du lac Tanganyika et la Rivière Rusizi ont été ciblées par des inondations graves et plusieurs familles ont été déplacées. Deux sites de Kinyinya II et Maramvya (SOBEL) ont été aménagés et abritent plus de 1500 sinistrés de Gatumba et Kajaga. Des institutions étatiques, des organisations non gouvernementales, tant nationales qu’internationales ne cessent de se rendre à Maramvya, apportant une assistance en vivres et non vivres. Selon l’expert en santé mentale, cette assistance ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée d’une assistance psychologique. Interview.

Partant des dégâts causés par ces inondations dues à la montée des eaux du lac Tanganyika ainsi que la rivière Rusizi, le bilan est alarmant. Pour Bundoyi Desiré, chef du département en charge de la réduction des risques et Gestion des Catastrophes au sein de la Croix Rouge du Burundi, la Croix Rouge a déjà identifié 511 maisons inondées, 5 maisons complètement détruites et 519 ménages déplacés en Bujumbura Mairie, 1802 maisons complètement détruites, 2508 maisons inondées et 2957 ménages en déplacement en province de Bujumbura ainsi que 1515 maisons totalement détruites et 1650 ménages en déplacement en province de Rumonge.

Quel est l’impact des inondations sur la santé mentale des sinistrés ?

Zénon Kwizera, psychologue clinicien et Chef du projet Santé mentale à la Croix Rouge du Burundi

Pour Kwizera Zénon, psychologue clinicien et Chef du projet Santé mentale à la Croix Rouge du Burundi, une bonne santé mentale implique un bien-être complet : physique, morale et psychosocial. « Prenons l’exemple d’une personne qui avait une belle maison et qui avait contracté un crédit à la banque pour la construire. Il espérait rester avec une petite somme qui va lui servir survie en attendant que la dette soit complètement payée et reprendre son rythme normal. Et voilà, une bonne nuit, il se retrouve dans une maison inondée, ne trouvant pas où se loger, sans avoir d’autres moyens pour s’arranger. Il y en a aussi d’autres qui étaient déjà victimes d‘une vie précaire, qui devaient survivre du jour au jour.  Quand de telles situations surviennent, elles ne viennent qu’enfoncer le clou dans la plaie car, ils s’ajoutent à des antécédents psychosociaux frustrants (pertes des biens ou des siens, vie précaire, …), longtemps refoulé. Du coup, ils se retrouvent sans moyens pour se payer les loyers ailleurs, ils manquent de stabilité et la perturbation psychologique devint la bienvenue ».

Dans les sites où ils sont rassemblés, Kwizera Zénon avoue que la santé mentale des déplacés n’est pas bonne. « On les a déplacés et mis dans des tentes. Ces tentes de quelques mètres carrées, doivent abriter la maman, le mari et les enfants. Il y a manque d’épanouissement, du côté matériel, la vie conjugale est perturbée, ce qui est aussi traumatisant et frustrant. Parmi les symptômes qui s’observent, certaines gens commencent à pleurer lors de l’entretien, d’autres sont devenus agressives et d’autres s’isolent et la détresse se lit sur leurs visages. L’intolérance, le concubinage, la prise des boissons alcoolisés deviennent fréquents et les gens qui affichent de tels comportements sont mal vus dans la communauté.

Pourquoi faire recours à la prise en charge psychosociale en cas des catastrophes naturelles?

Selon Zénon Kwizera, une assistance en vivre et non vivre est d’une grande importance. Mais cela ne suffit pas à elle seule. « Après avoir reçu de quoi manger et où se loger, un sinistré a aussi besoin d’être réhabilité psychologiquement. Dans ce cas, il aura besoin d’un soutien de proximité d’abord, du soutien par l’entourage (Ubufasha ndemesho bwo mu kibano) avant de penser à une prise en charge spécialisée. » 

Il faut savoir qu’il a perdu ses biens et que c’est une perte qui précède grande peine et une longue période de recherche. « Il a cherché pendant cinq ans et du coup il vient de tout perdre juste en une seconde.Il est sous le choc, la tendance est de croire que tout est fini, pour lui l’avenir est sombre. Il a besoin d’être compris et accompagné.

Cet accompagnement facilite l’identification de ses besoins et les hiérarchiser afin de répondre aux besoins réels. Le soutien psychosocial a des niveaux d’intervention, d’où la nécessité d’une synergie de divers intervenants.

« Dans des situations pareilles, il ne faut pas penser à la personne en son individualité, il faut aussi penser à sa famille et sa communauté pour renforcer ou rétablir sa résilience. Le schéma ci-haut est le guide universel pour toute intervention en Santé Mental et Soutien Psychosocial. Néanmoins, des fois, suite à l’urgence qui s’impose, lors de la planification pour gérer des situations d’urgences, certaines interventions sont oubliées ou ignorées. Mais, ce qu’il faut savoir c’est que ce qui touche le corps touche l’esprit et vice versa ». Ajoute Zénon Kwizera,

En ce qui est de la prise en charge pour le cas de SOBEL, Zénon précise qu’il y a eu l’identification des besoins et 38 cas manifestants des signes détresse psychologique ont bénéficié des premiers secours psychologiques par une équipe des volontaires psychologues et autres volontaires de la Croix Rouge du Burundi formés en Soutien Psychosocial. « Aujourd’hui, interventions de soutien psychosocial à base communautaires continuent comme : les sensibilisations sur la prévention des violences dont les Violences Basées sur le Genre, la gestion pacifique des conflits, l’hygiène, La Santé Sexuelle et Reproduction ainsi que le référencement des personnes nécessitant une prise en charge spécialisée. La croix rouge du Burundi s’est jointe à d’autres intervenants qui sont sur place ».  A-t-il ajouté.

Le rôle du soutien psychosocial comme une des solutions aux traumatismes en cas de catastrophes.

Selon Zénon, beaucoup de gens pensent encore que la santé mentale et le soutien psychosocial s’applique aux personnes malades. Le soutien psychosocialdevrait s’appliquer même dans la prévention sans attendre que les catastrophes surviennent. Les sensibilisations pour le changement de comportement, fournir de l’information du jour au jour devrait être donnée avant que ces catastrophes n’arrivent.

C’est l’abruptement, l’intensité et la gravité de l’incident qui sont les principales causes du traumatisme.  Pour lui, « il serait mieux que  le soutien psychosocial s’applique à titre préventif pour prévenir d’éventuels traumatismes ».

Tout dommage/catastrophe s’accompagne des pertes tant matérielles que humaines. Comme on se mobilise pour la réhabilitation matérielle, la réhabilitation psychosociale est aussi nécessaire, car la perte s’accompagne souvent de deuil. Zénon précise que « dans ce cas, les réactions diffèrent d’une personne à l’autre ». Il ajoute que « les réactions fréquentes dans de telles situations sont : l’humour noire, la détresse, la perte d’initiative, les phobies, le dégoût du présent et la crainte de l’avenir, etc. ». Il souligne que de telles réactions et autres non citées peuvent apparaitre directement ou longtemps après l’incident. D’où la nécessité d’un accompagnement de proximité.

Zénon. K nous conseille que « l’assistance psychosociale devrait commencer en famille et s’élargir vers la communauté. Il ne fallait pas attendre que les choses s’aggravent pour penser à l’assistance psychologique alors que même les centres s de prise en charge sont moins nombreux par rapport aux dégâts qi sont en train de se produire. » Il remercie au Gouvernement du Burundi via le MSPLS qui a déjà pris l’initiative d’intégrer les soins de santé mentale dans les soins de santé primaires

Pour pallier ce défi, ce psychologue recommande qu’au sein de la plateforme de gestion des catastrophes il devrait y avoir volet soutien psychosocial parallèle à d’autres interventions en situations d’urgences. Parce que, le déséquilibre et les perturbations psychologiques découlant de ces catastrophes peuvent causer à cours ou à long termes d’autres conséquences au niveau d’autres services de la vie du pays. Il faudrait aussi que le soutien psychosocial soit une priorité du gouvernement et que tous les intervenants s’y alignent pour le bien-être complet de la communauté.